Dans un entretien au Parisien du 25 mai 2016, Laurent Berger regrette que les "postures" du gouvernement et de la CGT éclipsent le débat autour du projet de loi El Khomri.
Etes-vous étonné par l’aggravation de la contestation de la loi Travail ?
Non pas particulièrement. Je pense qu’il y a un jeu de posture de plus en plus marqué entre la CGT et le gouvernement et que ce face-à-face ne permet plus de traiter du vrai sujet de cette loi qui est le travail.
Le gouvernement est responsable de cette dégradation ?
En partie bien sûr. Et ce, dès l’origine avec une première version totalement déséquilibrée et à laquelle les syndicats n’avaient pas été suffisamment associés. Heureusement que la CFDT a pesé pour une profonde réécriture du texte.
Ensuite, le gouvernement a péché par une absence de pédagogie qui a laissé la voie libre à toutes les intoxications et à tous les radicalismes, de la CGT à l’extrême gauche.
Le gouvernement n’a pas assez explicité tous les nouveaux droits qui étaient ouverts aux salariés, le compte personnel d’activité, la garantie jeunes mais aussi une protection renforcée pour les femmes de retour de maternité, la lutte contre les travailleurs « détachés » ou encore contre le sexisme en entreprise.
Renoncer à cette loi serait renoncer à tous ces droits, ce qui serait inacceptable.
La CGT s’oppose à la priorité donnée aux accords d’entreprise sur la convention collective ou sur la loi...
Il y a beaucoup de fantasmes dans tout cela. Ce changement de hiérarchie ne touche ni le smic, ni les salaires, ni les règles de sécurité. Il ne concerne que l’organisation et le temps de travail et rien d’autre.
Même dans ces domaines, les salariés resteront protégés par les règles actuelles sans accord majoritaire. Si la priorité est donnée aux accords d’entreprise, ce n’est pas pour faire moins pour les salariés mais mieux en apportant une réponse plus ajustée et plus efficace.
Les opposants à cette loi ont peur de quoi ? De l’expression des salariés ?
Mais les syndicats consolideront leur pouvoir de négociation pour répondre aux préoccupations des salariés au plus près de leurs réalités. Des règles uniformes ne protègent pas mieux des salariés qui se trouvent dans des situations différentes.
Mais la CGT semble déterminée à aller jusqu’au bout...
Aujourd’hui, le débat s’est figé mais la CFDT continuera à tenir son rôle qui est de défendre les salariés et donc de défendre cette loi. Le rapport de forces n’est pas seulement dans la rue, il est aussi dans les entreprises où la CFDT gagne du terrain en termes d’adhérents ainsi qu’aux élections professionnelles.
Je n’ai pas peur des vociférations de l’extrême gauche, quels que soient ses porte-voix. Je fais le pari de l’intelligence collective qui consiste à construire des compromis équilibrés.
Si l’on préfère miser sur l’extrême gauche en lui accordant une place surdimensionnée à un moment où par ailleurs le FN prospère, ce sera la porte ouverte à l’hystérisation, la fragmentation et la radicalisation de notre société.
Le gouvernement affirme qu’il ne retirera pas la loi. Vous en doutez ?
Qui sait ? Mais je le dis avec force : il est hors de question que le gouvernement renonce à ses engagements, que ce soit en retirant la loi ou en la vidant de sa substance.
Ce serait un coup dur pour les salariés car ils perdraient le bénéfice des nouveaux droits reconnus par le texte. Je tire la sonnette d’alarme aussi vis-à-vis des organisations patronales à qui je dis qu’il est temps de dialoguer mais aussi vis-à-vis des autres centrales syndicales.
Le monde actuel n’est pas un monde idéal : la précarité et les difficultés vécues par les salariés y sont grandes.
La loi El Khomri est faite pour corriger ces injustices car le dialogue social peut garantir un progrès social grâce à des syndicats engagés. La CFDT y est prête.