Après la modernisation du dialogue social induite par la loi Rebsamen, la loi El Khomri porte en elle une évolution profonde de la négociation collective. Et si certains dispositifs mettront un peu de temps à se déployer, d’autres sont déjà applicables.
« N’attendons pas tout des décrets !, lance Marylise Léon, la secrétaire nationale chargée du dialogue social à la Confédération. Nombre de mesures de la loi Travail favorables au dialogue social s’appliquent dès à présent. »
Depuis le 10 août 2016 – au lendemain de la publication au Journal officiel de la loi sur le travail, la modernisation du dialogue social et la sécurisation des parcours professionnels –, les délégués syndicaux bénéficient d’une hausse de 20 % de leurs heures de délégation.
Celles-ci sont ainsi portées à 12 heures par mois (au lieu de 10) dans les entreprises de 50 à 150 salariés ; 18 heures (au lieu de 15) dans les entreprises de 151 à 499 salariés ; 24 heures (au lieu de 20) à partir de 500 salariés. Le nombre d’heures de délégation des délégués syndicaux centraux est également porté de 20 à 24 heures.
Des moyens supplémentaires pour la négociation
Cette augmentation s’applique, quelles que soient les autres fonctions exercées par le délégué syndical. De même, le crédit global supplémentaire dont dispose chaque section syndicale « au profit de son ou ses délégués syndicaux et des salariés de l’entreprise […] en vue de la préparation de la négociation de cette convention ou de cet accord » (article L.2143-16) est porté de 10 à 12 heures dans les entreprises d’au moins 500 salariés et de 15 à 18 heures dans celles d’au moins 1 000 salariés.
« Dès le 10 août, on a vu des organisations syndicales totalement opposées à la loi Travail réclamer à leur direction cette augmentation bienvenue du nombre d’heures de délégation, s’amuse Marylise Léon.
Cette avancée s’ajoute au principe de mutualisation et d’annualisation des heures dans le cadre de la nouvelle délégation unique du personnel introduit par la loi Rebsamen – un principe que rien n’interdit de négocier dans le cadre d’un accord de regroupement d’instances au sein des entreprises de plus de 300 salariés. »
Sans compter que cette loi permet à chaque délégué syndical d’utiliser des heures de délégation (hormis celles dédiées à la préparation d’une négociation) pour participer, au titre de son organisation, à des négociations ou concertations à un autre niveau que celui de l’entreprise ou aux réunions d’instances organisées dans l’intérêt des salariés de l’entreprise ou de la branche.
Le “0,2” pour la formation
Autre avancée majeure déjà en application – et très attendue par les militants –, la possibilité d’utiliser une partie du « 0,2 » (le budget de fonctionnement du comité d’entreprise) pour la formation des délégués du personnel et des délégués syndicaux. « Ces dépenses doivent toutefois être retracées dans les documents comptables que le CE doit désormais établir et qui varient selon ses ressources », prévient le service juridique confédéral.
Au-delà de ces avancées immédiates en matière de moyens, la loi porte en elle une réforme majeure de la négociation collective qui mettra un peu de temps à produire pleinement ses effets. Certaines règles s’appliquent déjà. Il est ainsi possible de définir l’agenda de négociation de l’entreprise et de conclure un accord de méthode précisant la nature des informations partagées entre négociateurs, les principales étapes du déroulement des négociations, les moyens supplémentaires ou spécifiques dédiés aux représentants syndicaux.
De même, alors que les accords collectifs étaient auparavant présumés à durée indéterminée, leur durée sera désormais fixée à cinq ans à défaut de précision. Seul le principe de publicité de tous les accords sur une base de données nationale ne s’appliquera qu’aux accords conclus à compter du 1er septembre 2017.
Quant aux règles régissant les accords de préservation ou de développement de l’emploi, plusieurs points doivent encore être précisés par décrets, en cours de concertation (définition de la rémunération mensuelle ne pouvant être diminuée par l’accord, modalités d’information et de refus du salarié que l’accord s’applique à son contrat de travail, nature de l’accompagnement personnalisé).
Contrairement aux autres accords collectifs, ces accords sur l’emploi devront préciser les objectifs poursuivis dans leur préambule (à défaut, l’accord est nul) ; seront conclus pour une durée obligatoirement déterminée (fixée à cinq ans en l’absence de précision) ; en l’absence de délégué syndical, ils ne pourront être négociés que par des élus ou salariés mandatés.
Le verrou de l’accord majoritaire
Les nouvelles règles de validité des accords (principe de l’accord majoritaire à 50 % ou à 30 % avec consultation des salariés à la demande des organisations syndicales) s’appliqueront dès lors à ces accords de préservation ou de développement de l’emploi. Un décret doit cependant préciser les conditions de la consultation des salariés à l’initiative des syndicats signataires d’un accord et représentant plus de 30 % mais moins de 50 % des salariés.
Ces règles de validité ne s’appliqueront qu’au 1er janvier 2017 aux accords portant sur la durée du travail, les repos et les congés. Et ce n’est qu’au 1er septembre 2019 – soit après la réécriture des autres chapitres du code du travail – que ces règles s’appliqueront à l’ensemble des accords collectifs (à l’exception des accords de maintien dans l’emploi, valides dès 30 % sauf opposition à 50 % et des accords de plan de sauvegarde de l’emploi, qui nécessitent 50 % pour être validés).
« Cette garantie du verrou de l’accord majoritaire était une condition sine qua non de notre engagement en faveur d’une négociation d’entreprise renforcée, qui permet de trouver au cas par cas et en fonction des réalités du terrain les réponses les plus adaptées aux contraintes économiques en garantissant les contreparties attendues par les salariés », rappelle Marylise Léon.
Selon la secrétaire nationale, « la réforme fait une large place au dialogue social d’entreprise, avec des moyens renforcés qui s’appliquent dès aujourd’hui. Profitons-en pour nous préparer à la faire vivre sur le terrain ».
CFDT.fr - Aurélie Seigne