Pendant que les pays de l’Union européenne sur la législation, la fraude est de plus en plus sophistiquée… et les salariés trinquent.
L’Europe doit revoir sa copie !
L’Union européenne s’apprête à réviser la directive sur le travail détaché, malgré l’opposition d’une partie des États membres.
Une réforme nécessaire à un moment où la fraude au détachement atteint des sommets.
La directive sur les travailleurs détachés fait partie des sujets qui divisent l’Union. Cela s’est vérifié ce printemps avec la procédure de « carton jaune » déclenchée par onze États membres – dix pays d’Europe centrale et orientale et le Danemark – contre un projet de révision présenté par la Commission européenne.
Rappelons que la directive adoptée en 1996 permet à une entreprise d’un État tiers d’opérer une prestation de service pour le compte d’une entreprise française, par exemple en détachant ses salariés en France ; ceux-ci sont payés au moins au Smic (salaire minimum du pays d’accueil) mais les cotisations sociales sont calculées selon le taux du pays d’origine. De 33,1 % en France, ce taux n’est que de 21 % en Pologne, 13,6 % au Luxembourg, 6,9 % à Malte.
C’est pour réduire les écarts de coût du travail, sans toutefois toucher au principe des cotisations payées dans le pays d’origine, que la Commission européenne propose aujourd’hui d’aligner le salaire des détachés sur celui des autres salariés de l’entreprise, avantages conventionnels compris (treizième mois, prime de Noël, titres-restaurant)… selon le principe « à travail égal, salaire égal ». De plus, pour éviter les abus, la durée du détachement ne devrait pas excéder deux ans.
Onze pays européens se sont opposés au projet de révision en invoquant le principe de subsidiarité : la fixation des salaires relevant selon eux de la compétence des États et non de celle de l’Union européenne. L’argument n’a pas été retenu par la Commission, qui annonçait fin juillet que le texte serait transmis tel quel au Parlement européen. « Si la Commission n’est pas en mesure de percevoir le poids politique de l’opposition exprimée par onze pays membres de l’UE, cela veut dire que l’expérience du Brexit ne lui a rien appris », avait aussitôt réagi le vice-ministre polonais chargé des Affaires européennes.
En revoyant à la hausse les droits des salariés détachés, ce projet de réforme diminuerait d’autant leur compétitivité en matière de coût du travail. Et c’est bien ce qui chiffonne les pays les plus pourvoyeurs de candidats au détachement, qui craignent de voir se raréfier les débouchés pour leurs ressortissants. Comment en est-on arrivé à une telle crispation ?
En 1996, lorsque la directive a été rédigée, l’Union européenne ne comptait que quinze États membres aux standards sociaux relativement homogènes. La possibilité de détacher des travailleurs ne pouvait avoir que des effets vertueux. « Dans les années 90, on pensait que la libre circulation des capitaux, des services, des biens et des personnes allait améliorer la vie de tous les citoyens européens », note Sylvie Goulard, députée européenne (groupe de l’Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe). L’élargissement à l’Est en 2004 et 2007 a quelque peu modifié la donne.
Les écarts de coûts salariaux se sont creusés, passant d’un rapport de 1 à 3 au moment de l’entrée de l’Espagne, du Portugal et de la Grèce, à un rapport de 1 à 10 après l’arrivée des pays d’Europe centrale et orientale. Des disparités qui ont fait exploser le recours au travail détaché, dès lors accusé de favoriser le dumping social. « On n’a pas suffisamment pris en compte à l’époque à quel point cela allait devenir difficile à gérer à cause des différences de niveaux de vie, estime la députée européenne.
Même les plus favorables à la libre circulation ont fini par admettre que cela pouvait être un problème. » Les pays d’Europe centrale et orientale auraient-ils été intégrés trop tôt et trop vite ? « Ceux qui étaient de l’autre côté du rideau de fer n’ont pas trouvé que c’était trop rapide !, remarque Sylvie Goulard. Aujourd’hui, nous observons un effet de rattrapage sur le plan de la croissance et du niveau de vie dans des pays comme la Pologne, les pays baltes ou la République tchèque. Pour que le marché intérieur européen reste dynamique, nous avons besoin d’une certaine dose d’émulation et d’ouverture. »
Bien plus que le détachement lui-même, c’est le contournement de la législation européenne qui crée du dumping social !
Par ailleurs, comme l’explique Marie-Hélène Anselme, responsable du projet Euro-détachement à l’Institut national du travail, de l’emploi et de la formation professionnelle, « le détachement est un phénomène à double face. Quand une entreprise française délivre une prestation à l’étranger, cela lui permet de se développer, cela améliore l’économie et enrichit les parcours des travailleurs ».
La France accueille 230 000 travailleurs détachés déclarés – moins d’1 % de la population active – mais elle compte aussi parmi les principaux pays émetteurs. Près de 120 000 Français travaillent dans un autre pays européen en bénéficiant de ce statut. « Or, en France, le détachement a mauvaise presse car on l’assimile de façon systématique à la fraude et au travail illégal. Cela ne fait qu’alimenter un sentiment antieuropéen croissant sur fond de xénophobie », regrette Marie-Hélène Anselme.
En fait, bien plus que le détachement lui-même, c’est le contournement de la législation européenne qui crée du dumping social. Selon le rapport publié en 2015 par le sénateur Éric Bocquet (PCF), près de 300 000 travailleurs seraient détachés illégalement en France.
La Cour des comptes évalue à 380 millions d’euros le manque à gagner que représentent pour l’État les cotisations sociales non perçues.
Dans le domaine de la fraude au détachement, l’imagination des employeurs est sans limites : absence de déclaration de détachement, heures supplémentaires non payées, frais d’hébergement et de transport déduits du salaire.
La fraude, et c’est nouveau, s’organise à grande échelle. Des sous-traitants en cascade, des entreprises « boîte aux lettres », domiciliées à Malte ou à Chypre, développent un business de la fraude qui pose un défi de taille aux corps de contrôle des États. Et dont la solution passe par une meilleure coopération au sein de l’Union européenne.
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